> Humeurs >
Ecrit par extralys, le Mercredi 5 Juin 2002, 10:54.
Les locataires de l’Emeraude Studio, taudis infesté de plomb situé au 55, rue Compan, se accrochés quinze ans durant aux promesses de la mairie et de la préfecture, qui relogeait les habitants au goutte-à-goutte. Depuis six mois, plus rien : les locataires campent alors sur le pas de leur porte pour attirer les regards citoyens sur leur sort. Mercredi 29 mai, les CRS chargent et « dispersent » les manifestants à coups de matraques, sous les yeux effarés de leurs enfants. Depuis, un comité de soutien s’est créé, et les locataires redoublent d’effort pour se faire entendre.
Paris, Place des Fêtes dimanche midi : jour de marché, les commerçants se démènent pour ravitailler les autochtones en produits frais. Les quartier tout entier flâne, goûte, se regarde en promenade, le panier en osier à la main. Soudain, au milieu de la foule placide se dessine un visage décidé. Sourire crispé, démarche pressée, coups d’œil dans tous les sens, Roger Madec suppléant en campagne de M. Jean-Christophe Cambadelis, candidat aux législatives du 19ème arrondissement, distribue poignées de mains et bons mots à la cantonade. Avançant d’un pas décidé vers le stand du Parti Socialiste où une fanfare de militants invite à voter rose, il est soudain entouré d’une cohue en colère. Photographes, preneurs de sons dirigent leurs instruments vers le centre du vacarme. Un jeune homme noir, barbe, Lacoste et lunettes à monture dorée explique posément à M. Madec que les habitants du 55, rue Compan ne se contenteront plus de promesses, et qu’ils refusent sa proposition de reloger 10% des familles, tant qu’il n’existe pas de solution pour tout le monde. Le suppléant du député lève les bras, signe que le débat est clos, et rejoint la fanfare. Quelques badauds, indignés par l’attitude du maire, sont invités à un apéritif au « 55 ». L’occasion de faire connaissance avec le fameux « taudis » et de sympathiser avec ses habitants.
À seize heures, les sympathisants du quartier se rassemblent autour des tables, picorant dans les saladiers de biscuits et les verres d’orangeade offerts à la cantonade. Les enfants s’égaillent entre les jambes des adultes au visage grave, occupés à débattre des évolutions du relogement. Les femmes de la maison, vêtues de boubous traditionnels, assurent un service prévenant aux invités, des connaissances pour la plupart. Parmi eux, Jean, curé de la paroisse de St Jean-Baptiste de Belleville. Au 15, rue Lassus, tout près de son église, il a monté une petite structure de bénévoles formés par le Cimade (service œcuménique d’entraide), qui accueillent et conseillent dans leur démarche les mal-logés, sans papiers et autres victimes des tracasseries administratives : « Ces gens se retrouvent parfois dans une situation critique, du seul fait qu’ils ne savent pas s’exprimer dans le langage des employés de préfecture. Ici, les gens vivent à dix dans une pièce de 12 m². Parfois, une famille nombreuse accueille un cousin, un beau-frère, et complique de fait sa situation déjà précaire. Mais c’est très difficile de demander à un africain de refuser l’hospitalité, parce que c’est contraire à toutes les traditions ».
Une jeune femme de passage a observé le ballet électoral des socialistes dans le quartier. Ses conclusions ne sont pas tendres : « Bertrand Delanoë est arrivé avec son service d’ordre à huit heures du matin. À cette heure, c’est l’idéal : les étalages sont biens propres, il y a de la lumière pour les photos, et surtout il n’y a aucun gêneur, personne pour l’interpeller ! Il a serré la main à deux ou trois insomniaques qui passaient par là, et il est reparti sans parler à personne. Madec est plus proche des gens du quartier, mais là il a payé ses promesses non tenues.» Au printemps 2001, l’imprudent avait en effet fait éditer une lettre ouverte aux habitants de l’Emeraude Studio, qui s’ouvrait sur un triomphal « C’est officiel, l’immeuble va être rénové ! ». Dix-huit mois plus tard, M. Roger Madec s’est aperçu à ses frais que ses électeurs avaient gardé la mémoire de ses présomptions passées. Une dame plus âgée, attentive à la vie électorale du quartier, tempère ce jugement : « Madec a fait beaucoup pour la situation des mal-logés, il faut se souvenir des locataires du taudis de la rue Petit, tous relogés depuis. Depuis dix-huit mois, la moitié des habitants d’ici ont été relogés. Il faut faire pression sur les politiques, pour faire de ce dossier la priorité des priorités, mais ça ne sert à rien de condamner ces gens qui font des efforts pour la vie du quartier ». Moue sceptique de la jeunette. Un ange passe, une promesse d’abstention à la main.
Joël Houzet, adjoint communiste à la culture du maire d’arrondissement, discute avec Mamadou, Diabira, un des habitants du « 55 », qui ne peut toujours pas remuer le bras depuis les coups de matraques de mercredi dernier. L’élu communiste rappelle que 100 millionx d’euros ont été débloqués par la mairie pour résoudre le problème des mal-logés, et que la décision politique de rachat de l’immeuble a été prise au conseil de Paris (projet de délibération DAUC 55), le 17 janvier... 2001 ! La discussion fait tache d’huile : ici, on invoque le droit de préemption du préfet, qui pourrait réquisitionner les logements vides, et résoudre le problème en trois jours. Un peu plus loin, on tente de se mettre dans la tête des hauts fonctionnaires, pour comprendre sincèrement ce qui les empêchent d’être simples et compatissant. À droite, à gauche, on tente de peigner l’écheveau des contraintes, le nœud du paradoxe : le problème est officiellement réglé, mais dans les faits, il est toujours présent ! Soudain, on fait silence : c’est l’heure de l’estrade, les harangues sortent.
Ouvrant la valse des discours, une blonde furia apostrophe ses troupes improvisées : « c’est un scandale, les enfants vivent dans le plomb, les adultes sont matraqués ». Les locataires sourient, gentiment sceptiques devant cet appel sincère à la révolution. Une institutrice de maternelle à la retraite vient ensuite témoigner, pour dire à quel point elle était admirative de ces enfants toujours gentils et travailleurs, et ce malgré leur situation précaires. Les enfants écoutent, dodelinant de la tête. Peut-être certains ont-ils sommeil, on ne dort pas très bien à huit dans un studio. Mamadou, Diabira prend la parole, égrenant le chapelet des tracasseries d’un logement insalubre : « Nos enfants deviennent parfois méchants, parce qu’ils ne dorment pas bien, parce qu’ils ne peuvent pas inviter les amis à la maison. Ils ont honte.» Applaudissements sincères.
Un monsieur très bien mis, look de Patrice Lubumba, lance un dernier appel à s’engager auprès du comité de soutien, et puis on rompt les rangs. Les tables invitent à faire bombance. L’épicier du coin fait passer un pack de bouteilles de Coca, les jeunes femmes scrutent les invités aux mains vides. Pas question de refuser les verres et les gâteaux offerts de si bon cœur. On s’échange des sourires, des nouvelles du quartier. L’an prochain peut-être, ce pot improvisé n’aura d’autre motif que de profiter ensemble d’une belle journée de juin.
Gaël Villeneuve
CONTACTS DU COMITE DE SOUTIEN :
Chantal : 01.42.02.34.91
Aude : 06.82.57.82.61
Irène : 01.42.41.82.25
Dans la presse quotidienne :
Le Monde
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