La pauvre madame Lycopus a été enfermée à double tour dans l’église par la méchante mademoiselle Georgette... La voilà donc qui râle, qui s’ennuie, qui n’a personne à qui se confier... Alors elle parle à Dieu, comme on parle au premier venu quand on est enfermé dans un espace étroit et qu’on veut parler coûte que coûte pour remplir le vide : c’est le modèle bien connu de la conversation d’ascenseur. On commence par parler du temps qu’il fait, puis du temps de la semaine passée et du temps prévu pour le week-end à venir, mais si le trajet dure un peu plus longtemps voilà qu’on se met à parler de l’actualité et de la société... et on finit par soupirer, « Ah là là, de mon temps... »
Eh oui, c’était le bon temps, le temps où l’on se jetait sur les tables à plat ventre pour les faire briller et pour faire rire grassement les téléspectateurs français. Quelle gloire ! Que peut-on encore attendre de la vie quand on a déjà atteint dans sa carrière les sommets imbattables de la publicité pour Pliz et l’éternelle notoriété nationale qui s’ensuit, avec la certitude de laisser une trace indélébile dans la culture populaire ? Les années ont passé, mais Marie-Pierre Casey, « cette merveille de la nature » (dixit Michel Galabru), n’a pas perdu la forme. Sans se démonter, elle continue son petit bonhomme de chemin sur les planches. Toujours aussi sportive, elle se livre ici à une démonstration de tai chi chuan, avec toute la grâce qu’on lui connaît, entre deux jérémiades sur la société qui n’est plus ce qu’elle était, sur le monde de la technologie, le monde des fax et d’Internet et des téléphones cellulaires – ce qui a l’air de faire rire quelques spectateurs motivés, que je ne peux m’empêcher d’envier.
C’est ainsi que Marie-Pierre tient la scène pendant une petite heure en ponctuant son propos de récits burlesques foisonnants dont on peut savourer la joyeuse imagination (au demeurant très terre-à-terre), jouant parfois sur une grande richesse de vocabulaire dans des énumérations de mots rares dont l’humour repose sur le décalage entre leur rareté et la banalité de l’ensemble. Dommage que les vrais jeux de mots passent inaperçus au milieu du flot de platitudes, il y en a pourtant qui valent le détour (des jeux de mots, pas des platitudes), mais le public s’y avère peu réceptif.
La trame de la pièce n’est qu’un prétexte aux élucubrations séniles de cette brave mémé, généreusement illustrées par ses deux mimiques (la mémé gentille et la mémé renfrognée). En somme, Marie-Pierre Casey, grande habituée des rôles de concierges au cinéma et à la télévision, incarne dans Décalogue de sourd une personne très ordinaire qui tient des propos très ordinaires. Pas besoin d’aller au théâtre, quoi : il suffit d’écouter les conversations ordinaires de l’arrêt de bus, ou de la boucherie d’en face, ou du restau du coin, au comptoir ou à la table de derrière... On sort du Théâtre d’Edgar avec l’impression d’avoir passé une heure coincé dans l’ascenseur en compagnie d’une vieille voisine gentille mais collante sans avoir pu placer un mot. Moi non plus, « je f’rais pas ça tous les jours... »
Décalogue de sourd, de et avec Marie-Pierre Casey
mise en scène de Philippe Rondest
avec aussi Pierre Allogia
Théâtre d’Edgar
58, bd Edgar Quinet (XIVème) / M° Edgar Quinet, Montparnasse Bienvenüe
du 27 mars au 9 avril à 20h00 (sauf le lundi 1er avril et le dimanche 7)
Plein tarif 17 EUR - Tarif réduit 11 EUR
Réservations : 01.42.79.97.97
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